En 2013, l’OCDE publiait des Guidelines for measuring subjective wellbeing, une synthèse richement informée destinée à harmoniser les enquêtes de bien-être au travers des pays de l’OCDE. Dix ans plus tard, un nouvel article vient faire le point sur la situation : où en sommes-nous, et quelles sont les évolutions à suivre ? Je relève ici les éléments saillants de cette dernière publication.
Des progrès, mais une harmonisation encore limitée
L’OCDE a réalisé un travail de fourmi en analysant pour l’ensemble des pays de l’organisation les principales enquêtes comprenant régulièrement des métriques de bien-être subjectif. Par rapport à 2013, le nombre de ces enquêtes a significativement augmenté, en particulier sur les trois dimensions-clef que sont la satisfaction dans la vie, l’état émotionnel et le sentiment que ce qu’on fait a du sens. Le niveau d’harmonisation reste cependant hétérogène :
- La satisfaction dans al vie est mesurée au moins annuellement dans 80% des pays de l’OCDE, dans la plupart des cas avec une échelle de 0 à 10, conformément à la recommandation.
- Les mesures émotionnelles sont aussi fréquemment collectées, mais avec des questions et échelles qui diffèrent souvent.
- Le sentiment de sens est moins souvent présent, et approché par des questions assez différentes, ce qui limite la comparabilité.
La France est plutôt bien positionnée. Au travers de l’enquête SRCV, la satisfaction dans la vie et la satisfaction au travail (et depuis 2018 la confiance interpersonnelle) sont collectées annuellement auprès d’un large échantillon. Au travers de notre plate-forme trimestrielle, ce sont 18 indicateurs qui sont collectés tous les trois mois sur un échantillon représentatif, avec des questions en ligne avec les recommandations de l’OCDE.
Utilisations en politique publique
Sans répéter l’argumentaire en faveur de l’usage de ces indicateurs dans la politique publique — argumentaire qu’on trouvait déjà dans le Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009 — l’article de l’OCDE montre que ces indicateurs sont employés par des gouvernements pour orienter leur action. Les deux principaux modes sont le tableau de bord, dont le Te Tai Waiora en Nouvelle-Zélande est un exemple particulièrement abouti, et la valorisation monétaire du bien-être, à l’exemple du Green Book britannique.
Pour autant, la marge de progression est importante. C’est particulièrement le cas en France, où l’ambition d’une évaluation complète de l’action du gouvernement à l’aune des nouveaux indicateurs de richesse prévue par la loi 2015-411 du 13 avril 2015 n’a jamais été vraiment suivie d’effet.
Nouvelles frontières
En dix ans, la recherche a évidemment progressé, et l’OCDE en prend acte. L’article souligne en particulier quatre dimensions.
La mesure du bien-être émotionnel gagnerait probablement à intégrer aux côtés des états négatifs (anxiété, stress, dépression) des états positifs de faible intensité (sentiment de calme, de repos).
La mesure de la dimension eudémonique, actuellement abordée par le sentiment que ce qu’on fait a du sens, pourrait incorporer des dimensions plus tournées vers l’avenir, comme l’espoir ou l’optimisme — des dimensions que nous approchons au travers des questions relatives à l’avenir individuel et collectif dans notre plate-forme.
De manière plus exploratoire, il conviendrait de définir des références partagées pour la mesure du bien-être des enfants et celui des adolescents, et de continuer les expérimentations relatives à l’adaptation aux différents contextes culturels, au travers par exemple de questions mettant en évidence le sentiment de fonctionnement harmonieux de la communauté.
Prochaines étapes
L’Observatoire va naturellement continuer à accompagner les administrations qui se saisissent de ces outils pour mieux comprendre et informer leur action, comme nous l’avons fait pour le Ministère de l’Éducation nationale, Régions de France ou le Kremlin-Bicêtre. Notre plate-forme constitue un prototype unique d’enquête à haute fréquence, et nous allons tâcher d’en diffuser plus largement les données au sein des équipes de recherche.
Et les enquêtes internationales ?
Vous aurez remarqué que les grandes enquêtes internationales — L’Enquête Sociale Européenne, l’Eurobaromètre, Gallup — ne sont pas examinées dans cet article. Il ne s’agit bien évidemment pas d’un oubli, mais d’un choix. L’OCDE souhaite inciter les gouvernements à se saisir des métriques de bien-être subjectif pour informer leur politique publique. Cela suppose le recours à des enquêtes conduites en propre, calibrées pour les besoins et cadres de l’action publique nationale. À ce titre, les enquêtes internationales sont des compléments aux dispositifs nationaux, mais ne sauraient s’y substituer.
Références
OECD (2013), OECD Guidelines on Measuring Subjective Well-being, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264191655-en.
Mahoney, J. (2023), “Subjective well-being measurement: Current practice and new frontiers”, OECD Papers on Well-being and Inequalities, No. 17, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/4e180f51-en.
Stiglitz, Joseph, Amartya Sen, et Jean-Paul Fitoussi. « Mesure des performances économiques et progrès social ». Paris, France : Présidence de la République, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, 15 septembre 2009. https://www.vie-publique.fr/rapport/30513-mesure-performances-economiques-et-progres-social.
Te Tai Ōhanga – The Treasury. « Te Tai Wairoa: Wellbeing in Aotearoa New Zealand 2022 ». Wellbeing Report. Wellington: Te Tai Ōhanga – The Treasury, novembre 2022. https://www.treasury.govt.nz/publications/wellbeing-report/te-tai-wairoa-2022.
HM Treasury. « The Green Book (2022) ». London: HM Treasury, 30 mars 2022. https://www.gov.uk/government/publications/the-green-book-appraisal-and-evaluation-in-central-governent/the-green-book-2020.
LOI n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques (1), 2015-411 § (2015). https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000030478182.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Mathieu Perona (12 octobre 2023). Mesurer le bien-être subjectif : Où en sommes-nous ? Carnet de l'Observatoire du Bien-être du CEPREMAP. Consulté le 18 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/sh65